La main d’œuvre du secteur alimentaire en première ligne face au coronavirus

Women plucking tea leaves in Assam, India.

Des femmes cueillant le thé dans l’Assam, en Inde. L’Assam possède la plus grande surface de plantations de thé au monde, et pourtant les conditions de travail y sont parmi les pires. Les cueilleurs y gagnent environ 1,60 $ pour cueillir et transporter 24 kg de feuilles de thé par jour, un travail exténuant. Photo : Roanna Rahman/Oxfam

La crise sanitaire mondiale met en évidence la fragilité de notre système agroalimentaire. La main d’œuvre de ce secteur est en première ligne face au coronavirus, tout au long des chaînes d’approvisionnement mondiales. Derrière les aliments qui remplissent en temps normal les rayons des supermarchés se cachent les travailleuses et travailleurs qui les produisent, les cueillent ou les emballent. La pandémie vient décupler l’état de crise économique presque permanent qu’ils vivent au quotidien.

Aujourd’hui plus que jamais, les supermarchés et leurs fournisseurs doivent respecter et protéger les droits des travailleurs/euses et producteurs/rices qui risquent leur vie pour remplir les rayons des supermarchés.

Depuis 2018, dans le cadre de sa campagne La face cachée des prix, Oxfam fait pression sur les supermarchés et les gouvernements pour qu’ils améliorent leurs politiques et leurs pratiques afin de protéger cette main d’œuvre invisible. Nos recherches ont montré qu’en raison de bas salaires, de conditions de travail inacceptables et de contrats précaires, cette main d’œuvre vit souvent dans la pauvreté, la faim, et manque de services essentiels tels que les soins de santé et l’éducation.

Maria, fruit worker, under mango tree

Les femmes paient le prix fort

En raison de normes liées au genre profondément ancrées, les femmes sont le plus durement touchées : elles n’ont pas le droit de posséder des terres et sont moins susceptibles de bénéficier d’une représentation syndicale. Ellesassument la plupart des tâches de soins non rémunérées, sont confrontées à une discrimination salariale et ont moins accès aux promotions vers des emplois mieux rémunérés, sans compter qu’elles sont aussi confrontées au harcèlement et aux violences sexuelles.

Photo : Maria, ouvrière agricole au Brésil. Crédit : Tatiana Cardeal/Oxfam

Pauvreté et souffrance accrues

Les pays à faible et moyen revenus représentent près d’un tiers du commerce alimentaire mondial. Dans ces pays, la main d’œuvre du secteur agroalimentaire est particulièrement vulnérable aux effets du coronavirus. En 2019, Oxfam a rencontré des travailleuses et travailleurs des plantations de thé dans l’Assam, en Inde. Ils y gagnent environ 1,60 dollar pour cueillir et transporter 24 kg de feuilles de thé par jour, un travail exténuant.

Depuis la mise en œuvre du confinement en Inde le 25 mars dernier, Oxfam en Inde travaille avec des organisations partenaires et des syndicats pour comprendre l’impact de ces mesures sur les cueilleurs de thé. Les syndicats ont signalé que cette main d’œuvre est confrontée à des difficultés accrues, à la faim et à des risques pour sa santé en raison du confinement.

Une femme montre la ration mensuelle de thé que reçoivent les travailleuses et travailleurs de ce secteur. Photo: Roanna Rahman/Oxfam

Bien que la main d’œuvre des plantations travaille dur pour nous apporter le thé que nous apprécions tant, elle n’en reçoit presque pas elle-même – une maigre ration mensuelle d’environ 300 g d’une poudre de thé si fine qu’elle passe au travers du tamis. Photo : Roanna Rahman/Oxfam

Sur les 14 plantations de thé visitées par un syndicat, aucun cueilleur de thé n’avait été payé pendant la durée du  confinement et seule une plantation leur avait donné leur ration de riz.

Le syndicat a déclaré à Oxfam que la cueillette du thé a repris en partie dans certaines plantations, mais que les responsables de ces exploitations n’ont toujours pas mis en place de points d’eau pour le lavage des mains, ni d’installations sanitaires. Il y a également peu de locaux destinés à la quarantaine et de services de santé au cas où les travailleuses et travailleurs tomberaient malades.

Une main d’œuvre exposée aux pesticides et aux engrais

En 2019, Oxfam a rencontré Carlos (prénom modifié), un ouvrier d’une plantation de fruits tropicaux dans le nord-est du Brésil qui exporte sa production vers les supermarchés européens. Carlos et d’autres ouvrières et ouvriers ont déclaré souffrir de graves maladies de la peau en travaillant avec des pesticides et d’autres produits chimiques sans équipements de protection adéquats.

Carlos shows the skin damage he reported was caused by chemical use on fruit plantations in North-Eastern Brazil.

Carlos montre ses lésions cutanées, qu’il attribue à l’utilisation de produits chimiques dans les plantations d’arbres fruitiers du nord-est du Brésil. Photo : Tatiana Cardeal/Oxfam

Nous savons que ces produits chimiques peuvent notamment causer des problèmes respiratoires, et donc qu’ils entraînent un risque supplémentaire pour les personnes qui contractent la maladie liée au coronavirus. Les partenaires d’Oxfam au Brésil et en Équateur qui travaillent avec les cueilleurs/euses de fruits ont tous signalé les risques supplémentaires potentiels liés au coronavirus auxquels est confrontée cette main d’œuvre compte tenu de son exposition à long terme aux pesticides et aux engrais.

Les petits producteurs, qui vendent souvent directement sur les marchés, ont déjà perdu leur clientèle en raison de la fermeture des marchés. Notre collègue raconte ici comment les marchés de Delhi, d’habitude très animés, sont devenus étrangement calmes depuis qu’ils ont dû fermer pour respecter les mesures de confinement. La perte de revenus plonge la main d’œuvre et les producteurs alimentaires dans la pauvreté.

Banana farmers in Philippines

Aux Philippines, les producteurs de bananes sont confrontés à de très rudes conditions de travail, car ils tentent de respecter les stricts quotas imposés par les grands négociants et les multinationales et sont exposés aux pesticides toxiques pulvérisés dans les bananeraies. Photo : Larry Monserate Piojo

Restrictions de déplacement

Plus d’un quart des activités agricoles mondiales est réalisé par la main d’œuvre migrante. Les restrictions de déplacement liées à la pandémie de coronavirus empêchent les migrant-e-s de se déplacer pour gagner leur vie. Dans toute l’Europe, les exploitant-e-s agricoles sont confronté-e-s à des pénuries de main-d’œuvre en raison de ces mesures. En outre, certains pays mettent en place des restrictions à l’importation pour tenter de garantir l’approvisionnement de leur population, tout en croyant que cela contribuera à freiner la propagation du virus.

La France compte parmi ces pays, et les restrictions qu’elle a imposées menacent les moyens de subsistance de la main d’œuvre de l’industrie alimentaire au Maroc, l’un des pays auprès duquel elle s’approvisionne. Aux Philippines, les agriculteurs/trices et la main d’œuvre de l’agroalimentaire se sont vu imposer des contrôles et l’interdiction d’accéder à leurs fermes ou lieux de travail, même s’ils sont légalement autorisés à se déplacer à titre de travailleurs essentiels.

Les supermarchés doivent agir pour protéger leur main d’œuvre

Les supermarchés du monde entier ont augmenté leur activité pour répondre à la demande alimentaire et pour d’autres produits essentiels, mais en adoptant différentes approches. L’entreprise britannique Morrisons s’est engagée à payer immédiatement ses petits fournisseurs, afin de garantir leur flux de trésorerie. Aux États-Unis, le personnel d’Amazon, la société mère de Whole Foods, le géant américain de l’alimentaire, fait grève pour manifester contre le manque de mesures de protection de la main d’œuvre.

Rosana Jano is a farmer from Sultan Kudarat, Philippines.

Rosana Jano, une agricultrice de Sultan Kudarat, aux Philippines, en train de disposer sa récolte de haricots longs, d’épinards de Malabar et de feuilles de margose. C’est grâce à des agricultrices comme Rosana que les communautés parviennent à se nourrir dans les moments de crise comme celui-ci. Photo : Avril Bulanadi/Oxfam

Une note d’espoir

La main d’œuvre migrante qui était auparavant exploitée dans les vergers d’agrumes du sud de l’Italie vend désormais ses produits de coopérative aux habitant-e-s de Rome. L’organisation Fairtrade a adapté ses directives relatives aux prix des produits du commerce équitable afin de donner davantage d’argent et d’équipements de protection à la main d’œuvre, notamment les travailleurs/euses du secteur de la production de fleurs et de bananes.

Nous témoignons de nouvelles solutions d’approvisionnement alimentaire partout dans le monde, par exemple des groupes d’entraide au Royaume-Uni ou des numéros d’urgence pour lutter contre la faim en Inde, qui contribuent à nourrir les personnes les plus vulnérables de la planète.

Oxfam travaille avec les syndicats et d’autres partenaires dans les pays producteurs de denrées alimentaires tels que l’Équateur et le Brésil pour inciter les supermarchés à veiller à la sécurité de leur main d’œuvre. Aux États-Unis, Oxfam exhorte les supermarchés à fournir des équipements de protection à leur personnel. Aux Philippines, nous avons lancé le mouvement #FoodFrontliners pour mettre en avant la main d’œuvre qui travaille en première ligne pour nourrir le pays.

Personne ne sera en sécurité tant que nous ne le sommes pas toutes et tous, et cela inclut aussi la main d’œuvre de l’industrie agroalimentaire.

Francesca Carnibella, chargée de campagne sur l’alimentation et le climat

Mettons fin à la souffrance qui se cache dans nos assiettes

Soyez solidaire des travailleuses et travailleurs du secteur agroalimentaire qui sont en première ligne et risquent leur vie pour que nous puissions manger.