Camps de réfugiés sahraouis : une longue vie d’exil

Fahda Bachir Mohamed, 27 ans, née dans le camp de réfugiés de Laâyoune. Aujourd’hui elle y travaille comme monitrice de sensibilisation en nutrition.

Cela fait 40 ans aujourd’hui que les camps de réfugiés sahraouis ont été installés dans le sud-ouest algérien. A cette occasion, 40 réfugiés ont prêté leur visage à l’exposition photo 40 FACES 40 YEARS, qui tente de lever le voile sur toute une génération qui n’a jamais rien connu d’autre qu’une vie d’exil.

Ces 40 hommes et femmes vivent au cœur du désert du Sahara. Loin de tout, dans un environnement des plus hostiles, sans faune ni flore, soumis à des températures extrêmes, ils ne survivent que grâce à l’aide humanitaire.

Le témoignage de Fahda

C'est le cas de Fahda Bachir Mohamed, 27 ans. Née dans le camp de réfugiés de Laâyoune, Fahda a quatre sœurs et deux frères. Elle est diplômée en science politique, option relations internationales. Aujourd’hui elle travaille comme monitrice de sensibilisation en nutrition dans les camps (auprès d’une organisation humanitaire).

"Je suis née ici et toute ma vie, j’ai été dépendante de l’aide humanitaire de l’étranger. Je suis née dans une famille conservatrice et partisane de la cause du peuple Sahraoui et de sa lutte pour la liberté. J’ai eu une enfance de réfugiée, dans des conditions difficiles : peu de moyens et des conditions de vie très rudimentaires.

Dans ce désert inhospitalier, il manque à la fois la vie végétale et animale. L'été est très chaud et l'hiver très froid, et je vivais dans ces conditions sans vêtements, chaussures ou services de santé adéquats. Je n’avais pas non plus de jouets. On récupérait ce qu’on trouvait et on essayait d’imiter les jeux des autres. Quand il y avait un peu de pluie qui formait une flaque, tout le monde se précipitait dessus : on rêvait de voir la mer.

Une poupée faite avec un os

Je n’ai pas vécu ni pu profiter de mon enfance comme les autres enfants de mon âge à travers le monde. Je me souviens que ma mère se pliait en quatre pour me rendre heureuse. Je me rappelle qu’une fois elle avait récupéré un os, l’avait recouvert d'un morceau de tissu, lui avait dessiné un visage et en a fait ainsi une poupée qu’elle m’avait offerte; Je me souviens que j’étais si heureuse et si fière de cette nouvelle poupée, je la prenais avec moi pour jouer avec mes amis.

Fahda Bachir Mohamed, 27 ans, camp de réfugiés de Laâyoune

Je me rappelle aussi que quand j’avais faim, elle me disait: "Aie de la patience ma petite fille, je vais te donner tout ce que tu veux". Alors j’attendais. Jusqu’à ce que je finisse par m’endormir jusqu’au lendemain matin. Elle ne disait pas ça par mauvaise foi ou pour me tromper, c’est juste que nous n’avions pas les moyens. Ceci est juste un petit exemple de tout ce que nous avons souffert et de tout ce que les enfants sahraouis souffrent encore.

L’éducation avant tout

Par contre, grâce à Dieu et aux efforts des ONG humanitaires et des autorités sahraouies [qui gèrent les camps, ndlr], nous avons tout de même eu la chance d’avoir de nombreuses écoles dans les camps : l’éducation et la culture ont une telle importance dans la vie d'un peuple.

Au moment des études, on aurait voulu fréquenter de grandes écoles, avoir des professeurs qui soient de grands docteurs, pour que tout le monde soit instruit dans les camps. Au moment du collège et du lycée, j’ai eu la chance de pouvoir aller étudier en Algérie [grâce à une bourse financée par le gouvernement algérien, ndlr], et ensuite d’aller à l’université où j’ai étudié les sciences politiques. C’est notre cause qui a influencé mon choix de spécialité. Pour que je puisse mieux la défendre.

Pas de perspectives d’avenir

Mais qu’on fasse des études ou pas : de toute manière on n’a pas de perspectives quand on rentre dans les camps de réfugiés, pas de travail. On ne peut rien faire de toutes ces connaissances car on n’est pas chez nous. Même moi je n’ai pas de perspectives d’avenir, alors que j’ai fait des études supérieures. Mais comme j’ai vécu loin de mes parents pendant toutes ces années d’études, je veux être auprès d’eux maintenant, pour partager leurs souffrances, jusqu’au jour où ils pourront rentrer sur leur terre.

Malgré tout, même si on reste ici 100 ans, on a toujours l’espoir de mettre les pieds dans notre pays libre et de l’exploiter nous-mêmes, quel que soit le nombre d’années qu’on ait passé ici. Même si on est là depuis des années et qu’on considère ce désert un peu comme notre deuxième terre, on a toujours cette sensation de ne pas être chez soi. 40 ans, c’est un exil trop long.

40 ans d’une vie dure

On n’est pas comme le reste du monde, dans des villes, avec des moyens pour vivre. Nous, on a des familles coupées en deux [entre les territoires sous contrôle marocain et les camps de réfugiés, ndlr] et surtout des conditions de vie très difficiles. 40 ans d'une vie dure, 40 ans de souffrances.

Ce projet photo pour lequel je pose ici à l’occasion des 40 ans de ces camps de réfugiés, c’est un sujet très important car il y a forcément beaucoup de personnes qui ne sont pas au courant de cette crise et ça va leur permettre de connaitre la souffrance de notre peuple, ici dans les camps de réfugiés. J’espère qu’ils apprécieront cette petite partie de ma vie, qui n’est pas seulement la mienne, mais aussi celle de tous les jeunes Sahraouis."

L'exposition photo 40 FACES 40 YEARS sur le site d'Oxfam Solidarité

"Quand j’étais enfant, on n’avait pas de jouets, on récupérait ce qu’on trouvait et on essayait d’imiter les jeux des autres. Quand il y avait un peu de pluie qui formait une flaque, tout le monde se précipitait dessus : on rêvait de voir la mer."
Fahda Bachir Mohamed, 27 ans, camp de réfugiés de Laâyoune