Bouclage des frontières et marchandage des droits humains : l’UE s’apprête à formaliser un accord qui ne fera qu’aggraver la crise humanitaire

Publié: 17th mars 2016

Les chefs d’État et de gouvernement européens pourraient avaliser, cette semaine, la décision de se décharger de leurs responsabilités envers les réfugiés sur la Turquie. Oxfam prévient que cette décision reviendrait pour l’Union européenne à marchander ses principes fondateurs et à renoncer à des obligations légales fondamentales. Elle créerait un précédent dangereux, laissant entendre que les droits humains n’ont plus aucune importance. Déjà, les fermetures de frontières et les restrictions de l’accès au territoire européen aggravent terriblement la situation humanitaire des réfugiés et des migrants qui vivent dans des conditions épouvantables, que ce soit en Grèce, en Macédoine, en Serbie ou en Sicile. 

Oxfam, l’International Rescue Committee (IRC) et 19 autres grandes organisations humanitaires œuvrant directement auprès des réfugiés et des migrants en Europe adressent donc une lettre ouverte aux chefs d’État et de gouvernement européens. Elles les enjoignent à respecter les droits fondamentaux des réfugiés lors de leur réunion de ce jeudi et à tenir compte des leçons tirées des événements de l’an dernier : une politique d’endiguement des migrations coûte cher en vies humaines. Depuis 2014, environ 7 500 personnes ont trouvé la mort en mer, dont un grand nombre d’enfants.

Pour Sara Tesorieri, responsable des questions de migration chez Oxfam, « la décision de "fermer" la route des Balkans est une pantalonnade politique dans laquelle l’Union européenne néglige ses principes pour se plier à des exigences de politique intérieure. Cette décision n’apporte pas de solution à la réelle situation de crise dans laquelle se trouvent les personnes arrivant en Europe. Il ne fait aucun doute que l’Union européenne et la Turquie doivent conjuguer leurs efforts et qu’elles ont besoin l’une de l’autre. Mais dans le marchandage proposé entre la Turquie et l’UE, des êtres humains servent de monnaie d’échange. Lors de leur rencontre prévue ce vendredi, les dirigeants de l’UE et de la Turquie devront faire primer les droits et la sécurité des personnes. »

« Des femmes et des enfants dorment dehors, dans un froid glacial, dans l’humidité et la boue, rappelle Vincent Koch, coordinateur régional de la réponse d’Oxfam à la crise migratoire en Europe. Les vivres et l’eau potable font défaut, et les conditions de vie déplorables ont entraîné l’apparition de maladies, comme l’hépatite A. La motivation de ces personnes est simple : elles recherchent la sécurité et la dignité. » 

Dans les Balkans, les fermetures de frontières ont contraint des dizaines de milliers de personnes à s’installer dans des camps de fortune, sans accès à des biens et services essentiels à leur survie : un abri, de la nourriture, des soins de santé et de l’eau. La situation entrave en outre l’intervention des organisations humanitaires. Les gardes-frontières évalueraient le statut de réfugié sur la base d’entretiens de dix minutes et, en Sicile, les nouveaux arrivants reçoivent des avis d’expulsion sans avoir accès à aucune information.

Selon Jane Waterman, directrice générale de l’IRC au Royaume-Uni et vice-présidente Europe, « telles quelles, les propositions risquent de pousser davantage de personnes entre les mains de passeurs et de trafiquants d’êtres humains sur des routes de plus en plus dangereuses. Il est tout à fait possible de gérer correctement les frontières sans négliger des obligations légales et morales de base. L’UE a la capacité de gérer cette situation efficacement et humainement, mais elle doit pour cela faire preuve de courage et de volonté politique. Il est temps de se soucier de protéger les personnes dans le besoin, au lieu de fermer les frontières. Les dirigeants européens doivent assumer leurs obligations morales et juridiques et doivent faire beaucoup, beaucoup mieux. »

Des éléments de la proposition d’accord actuelle pourraient enfreindre le droit international et les droits fondamentaux de la personne, notamment le droit d’asile. La Turquie accueille déjà davantage de réfugiés que tout autre pays – environ 3 millions – et est submergée. Quel que soit l’accord conclu, il devra mettre en place des garanties et assurer des services de base, tels que l’éducation, la santé et l’emploi. 

Les chefs d’État et de gouvernement européens doivent adopter de nouveaux moyens d’offrir des voies d’accès sûres et légales aux personnes ayant besoin de protection : délivrance de visas humanitaires, programmes de réinstallation à grande échelle et application de politiques de regroupement familial, notamment. L’Europe a le droit de contrôler ses frontières. Mais elle a surtout l’obligation de gérer les migrations avec humanité.

Notes aux rédactions

1. Signataires de la lettre ouverte aux chefs d’État et de gouvernement européens :

  • Vaša prava BiH (réseau d’assistance juridique)
  • Associazione per gli Studi Giuridici sull'Immigrazione (ASGI) 
  • Croatian Law Network
  • Danish Refugee Council
  • Doctors of the World UK
  • Group 484
  • International Rescue Committee UK
  • Legal-Informational Centre for NGOs in Slovenia
  • Local Democracy Foundation
  • Macedonian Young Lawyers Association
  • Magna
  • Medici per i Diritti Umani Onlus
  • Médecins du Monde Grèce 
  • Norwegian Refugee Council
  • Oxfam
  • People in Peril Association
  • Save the Children International
  • Solidarity Now
  • World Vision

La lettre ouverte peut être téléchargée ici en anglais.

2. Ces organisations humanitaires ont du personnel travaillant auprès des réfugiés en Europe et faisant état d’une situation déplorable sur le terrain :

Grèce

  • 45 000 personnes sont bloquées en Grèce, dont des milliers dispersées dans les villages entre Athènes et la frontière avec la Macédoine, et et jusqu’à 3 000 nouvelles personnes arrivent de Turquie par la mer chaque jour. Les centres de transit, les hôtels loués par les ONG, les lieux sûrs et les centres de jour à Athènes sont tous pleins, y compris l’ancien aéroport désaffecté de la ville. Le gouvernement grec envisage à présent d’investir d’anciens stades, malgré le manque d’hygiène et d’assainissement ou encore d’espaces réservés aux femmes. Il est également prévu d’utiliser plusieurs anciennes bases militaires. 
  • Des milliers de personnes sont dispersées dans le centre de la Grèce, entre Athènes et sa frontière septentrionale, la police ayant interdit aux compagnies de bus de conduire les réfugiés afghans jusqu’à la frontière. 
  • Des Syriens ont été refoulés à la frontière macédonienne, où environ 13 000 personnes campent dans l’espoir d’une prochaine réouverture de la frontière. 

Serbie/Macédoine

  • À la frontière nord de la Macédoine, environ 1 500 réfugiés de Syrie, d’Irak et d’Afghanistan sont bloqués depuis trois semaines, dont 400 réfugiés de Syrie et d’Irak campent dans la boue du no man’s land entre les deux pays. 
  • Les gardes-frontières déterminent le statut de réfugié sans suivre de procédure officielle, sur la seule base d’un entretien de dix minutes, et refusent l’entrée aux personnes qu’ils considèrent être des migrants économiques.

Sicile

  • Des centaines de migrants du Burkina Faso, du Mali, de la Gambie, du Sénégal, du Nigeria, du Togo, de la Côte-d’Ivoire et de la Guinée ont reçu des avis d’expulsion et ne peuvent donc accéder à un aucun soutien de l’État.

Contact

Pour en savoir plus sur le sommet européen et pour interviewer Sara Tesorieri :

Florian Oel | Brussels | florian.oel@oxfaminternational.org | +32 2 234 11 15, m +32 473 56 22 60

Pour toute autre question :

Attila Kulcsar | London | attila.kulcsar@oxfaminternational.org | +447471142974

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