Des militants demandent à l'ONU d'enquêter sur les discriminations raciales et sexuelles dans le cadre du déploiement mondial du vaccin contre la COVID-19.

Publié: 10th novembre 2021

Les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Norvège et la Suisse violent le droit international relatif aux droits humains en "prolongeant la pandémie" avant une réunion cruciale de l'Organisation mondiale du commerce.

GENÈVE- Une coalition internationale de groupes de défense des droits humains, d'experts en santé publique et d'organisations de la société civile intente une action en justice contre les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Norvège et la Suisse, au motif que ces pays violent le droit international relatif aux droits humains en n'intervenant pas dans le déploiement inéquitable et discriminatoire sur le plan racial du vaccin et des autres technologies de santé relatives à la COVID.

Dans un appel au Comité des Nations Unies pour l'élimination de la discrimination raciale (CERD), la coalition accuse les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Norvège et la Suisse de ne pas lever les barrières de propriété intellectuelle sur toutes les technologies médicales de COVID-19 par le biais d'une dérogation ADPIC (ou de ne pas la mettre en œuvre efficacement par le biais de transferts de technologie), ce qui constitue une violation de la Convention internationale pour l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, une convention de protection des droits humains ratifiée par presque tous les pays du monde.

Étant donné que les pays riches qui fabriquent et accumulent actuellement des vaccins sont majoritairement peuplés de personnes blanches et que les pays anciennement colonisés qui souffrent de la rétention des vaccins sont majoritairement peuplés de personnes noires, autochtones ou autres personnes de couleur, le déploiement inéquitable actuel des vaccins est un exemple classique de discrimination raciale structurelle.

La Convention internationale pour l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale exige que les pays prennent des mesures efficaces "pour revoir les politiques gouvernementales, nationales et locales, et pour modifier, abroger ou annuler toute loi ou réglementation ayant pour effet de créer ou de perpétuer la discrimination raciale où qu'elle existe." Les pays ont l'obligation, en vertu de la convention, de "prévenir, interdire et éliminer" toutes les pratiques de discrimination raciale, en particulier "la ségrégation raciale et l'apartheid." 

Pourtant, les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Norvège et la Suisse se sont opposés ou ont délibérément omis de prendre toutes les mesures disponibles pour accroître l'offre mondiale et l'accès équitable aux vaccins et autres technologies médicales de COVID-19, en violation de leurs obligations au titre de la convention des droits humains. 

Au niveau mondial, 73% de toutes les doses de vaccin contre la COVID-19 ont été distribuées à seulement 10 pays. Les pays riches ont administré 61 fois plus de doses par habitant que les pays pauvres et n'ont livré que 14 % des 1,8 milliard de doses promises aux pays pauvres. Seuls 5,8 % des Africains ont été vaccinés. Les dix premiers pays à revenu élevé auront accumulé 870 millions de doses excédentaires de vaccins d'ici à la fin 2021. Les pays du Sud risquent de perdre 2 300 milliards de dollars d'ici à 2025 s'ils ne parviennent pas à vacciner 60 % de leur population d'ici la mi-2022. 

L'appel demande au Comité CERD de contraindre les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Norvège et la Suisse à "respecter, protéger et remplir leurs obligations en matière de droits humains", ainsi qu'à prendre plusieurs mesures immédiates, notamment:

  • Exiger que les États défendeurs soutiennent, mettent en œuvre et appliquent immédiatement une dérogation temporaire aux barrières de propriété intellectuelle sur les vaccins, tests et traitements relatifs à la COVID-19 actuellement imposées par l'Accord sur les droits de propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC) de l'Organisation mondiale du commerce, comme l'ont demandé l'Inde et l'Afrique du Sud en octobre 2020, et
     
  • Imposer des transferts de technologie et de connaissances des sociétés pharmaceutiques concernées vers les nombreux fabricants du monde entier prêts à accélérer la production de ces technologies médicales qui sauvent des vies. 
     

Le CERD se réunit à partir du 15 novembre dans le cadre d'une session de plusieurs semaines qui coïncide avec la réunion ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) du 30 novembre. La réunion ministérielle de l'OMC est une occasion unique de sortir de l'impasse dans laquelle se trouve depuis un an la proposition de briser le monopole des entreprises sur les technologies de santé relatives à la COVID-19 en accordant une dérogation aux ADPIC.

Tian Johnson, fondateur et stratège principal de l'African Alliance et membre du People’s Vaccine Alliance, a déclaré: "Conséquence des politiques économiques et sociales néocoloniales en Afrique, les systèmes de santé fragiles ont un impact sur l'accès des communautés aux services de santé dans une grande partie du continent. L'Afrique sera connue comme le continent de la COVID-19 - non pas à cause de l'hésitation à se faire vacciner, mais à cause de l'iniquité, de la cupidité et de l'inaction des entreprises pharmaceutiques et des dirigeants politiques du Nord. Il ne suffira pas de compter sur les capacités et les ressources du continent pour sauver des vies africaines. Cela ne devrait pas non plus être le cas. Les vies africaines comptent, tout autant que les vies à Berlin, Washington, Tel Aviv, Genève, Londres, Toronto ou Bruxelles. La COVID-19 est une crise mondiale qui nécessite une action mondiale, dont la réponse doit pouvoir être partagée équitablement par tous les pays."

Paula Litvachky, du Center for Legal and Social Studies d'Argentine, a déclaré: "L'Amérique latine a été extrêmement touchée par la pandémie. Elle regroupe près de 25 % de tous les décès dus à la COVID-19 sur un continent qui représente moins de 10% de la population mondiale. Bien qu'il existe une capacité industrielle régionale, de nombreux États ont eu des problèmes d'accès aux vaccins. Des groupes tels que les populations autochtones, les descendants d'Africains et les secteurs racisés sont plus durement touchés que d'autres, tant par le virus que par les crises sociales et économiques dramatiques qu'il provoque."

Anele Yawa, secrétaire général de la Treatment Action Campaign et membre de la People's Vaccine Alliance, a déclaré: "Les grandes entreprises pharmaceutiques privilégient depuis trop longtemps les profits excessifs à la protection de la santé des personnes. Elles sont souvent aidées et encouragées par les gouvernements des pays du Nord par leur inaction ou leur opposition à un système plus juste. Nous l'avons constaté à plusieurs reprises dans de nombreuses luttes pour l'accès à des médicaments abordables, de la lutte pour les médicaments contre le VIH au début des années 2000 à, plus récemment, notre combat pour rectifier les lois sur les brevets afin de garantir des médicaments plus abordables pour le cancer, la tuberculose, la santé mentale et au-delà. Pourtant, une fois de plus, avec la COVID-19, nous constatons que la cupidité des grandes entreprises pharmaceutiques est privilégiée par rapport à la vie des personnes dans le monde entier. Les gouvernements doivent remplir leurs obligations internationales et aider à donner la priorité aux personnes plutôt qu'aux profits en garantissant l'équité des vaccins pour tous, indépendamment du lieu de naissance, de la pauvreté, du genre ou du statut d'immigration." 

Joshua Castellino, directeur exécutif de Minority Rights Group International, a déclaré: "La COVID-19 a frappé plus durement les personnes de couleur, les femmes, les populations autochtones et d'autres groupes minoritaires et discriminés en termes d'infections, de décès, de manque d'accès aux soins de santé, de la pauvreté qui en résulte, et même de violence et de traumatisme émotionnel. La discrimination du virus est reconsidérée par la discrimination du vaccin, car les nations riches retiennent et refusent délibérément à ces mêmes groupes de personnes un accès équitable au vaccin." 

Meena Jagannath, coordinatrice du Global Network of Movement Lawyers à Movement Law Lab, a déclaré : "Nous avons présenté un défi fondé sur des preuves à l'ONU, une institution censée incarner l'esprit de la coopération multilatérale. Nos preuves mettent en évidence les actions spécifiques des États cités dans la perpétuation des divisions structurelles entre les pays du nord et les pays du sud, enracinées dans le colonialisme historique, le tout au service du profit et de la prise de pouvoir par les entreprises. Ces actions contreviennent à leurs obligations légales en vertu des pactes et accords internationaux qu'ils ont ratifiés. Il s'agit d'une épreuve de notre temps que le système des Nations Unies doit combattre et corriger. Nous sommes très sérieux dans notre détermination à obtenir justice et réparation."

Mandivavarira Mudarikwa, avocate pour le Women's Legal Centre en Afrique du Sud, membre du Réseau-DESC - Réseau international pour les droits économiques, sociaux et culturels, a déclaré: "Il est indéniable que les femmes dans leur diversité, en particulier celles de couleur, ont été touchées de manière disproportionnée par la pandémie de COVID-19, notamment en supportant la plus grande partie de la charge des soins de santé et du travail de soin non rémunéré. L'accès inéquitable aux soins de santé, aux équipements de protection individuelle et à la distribution de vaccins et d'autres traitements vitaux a mis à nu la discrimination permanente à laquelle les femmes sont confrontées dans leur vie quotidienne. Une action critique et transformatrice est nécessaire immédiatement si nous voulons apporter des changements substantiels et réaliser un accès juste et égal au droit à la santé. Nous soutenons donc la demande d'appel d'action urgente du CERD[1]  visant à combattre l'injustice sexiste et raciale qui persiste et nous espérons que d'autres se joindront à cette action collective."

La pétition exhorte le CERD à déclarer que ces pays doivent donner la priorité aux actions qui protégeront la vie des personnes plutôt qu'à la propriété intellectuelle du vaccin contrôlée par les entreprises. Ils devraient soutenir - plutôt que de bloquer - une proposition à l'OMC visant à lever ces monopoles de propriété intellectuelle, afin que davantage de pays puissent fabriquer davantage de vaccins et d'autres technologies de santé relative à la COVID, à des coûts moins élevés.

La pétition est également renforcée par une note juridique distincte signée par des juristes du monde entier, qui estime que ces États "bloqueurs" violent également, par leurs actions, un certain nombre d'obligations découlant de pactes et de traités en vertu du droit international relatif aux droits humains. Ce document indique que ces pays violent à la fois le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi qu'un certain nombre de traités qu'ils ont signés en tant que membres de l'OMC, notamment leurs obligations légales de coopération internationale. Une large coalition juridique a également déposé des plaintes supplémentaires dans d'autres forums, y compris une soumission au Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) afin de faire remonter la discrimination sexospécifique.

Les groupes à l'origine de la pétition sont African Alliance, Center for Economic and Social Rights, Centro de Estudios Legales y Sociales, Minority Rights Group, Oxfam International et Treatment Action Campaign.  La pétition a été coordonnée par Global Network of Movement Lawyers (de Movement Law Lab) et le Réseau-DESC, et est soutenue par SECTION27 et d'autres organisations de la People's Vaccine Alliance.
 

Notes aux rédactions

1. L'Allemagne, le Royaume-Uni, la Norvège et la Suisse se sont activement opposés aux démarches visant à lever les barrières de propriété intellectuelle sur toutes les technologies du vaccin contre la COVID-19 à l'OMC. Les États-Unis ont déclaré leur soutien, mais uniquement pour une dérogation limitée au seul vaccin, sans utiliser d'autres mécanismes à leur disposition, par exemple en imposant des transferts de technologie par le biais de la loi sur la production de défense.

2. Les membres de l'Organisation mondiale du commerce se réuniront du 30 novembre au 3 décembre pour examiner une proposition visant à renoncer au brevet sur les vaccins afin de permettre le partage de la technologie et du savoir-faire en la matière. Cette proposition a été déposée par l'Afrique du Sud et l'Inde et est soutenue par plus de 100 pays.    

3. La pétition adressée au Comité des Nations unies pour l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CERD) peut être consultée ici. 

4. La réunion du CERD a lieu du 15 novembre au 3 décembre. La pétition demande au CERD d'invoquer sa procédure "d'alerte précoce et d'action rapide".

5. Le document juridique intitulé “document juridique sur les obligations des États en matière de droits humains concernant la proposition de dérogation aux ADPIC relative à la COVID-19” est consultable ici.[2] 

6. Le document juridique a été rédigé par Sanya Samtani et Timothy Fish Hodgson, avec la contribution de membres de la People's Vaccine Alliance ; du Global Network of Movement Lawyers (du Movement Law lab) ; du Réseau-DESC - Réseau international pour les droits économiques, sociaux et culturels; du Women Legal Centre; du South Centre; du European Center for Constitutional and Human Rights; du Center for Economic and Social Rights; du International Network of Civil Liberties Organizations; du Minority Rights Group International; du Proyecto de derechos Económicos Sociales y Culturales; de Dejusticia; Minbyun; Amnesty International ; Oxfam UK; Médecins Sans Frontières; et avec le soutien de l'Institut Oxford-Bonavero.

7. An inconvenient truth: The real reason why Africa is not getting vaccinated (Une vérité qui dérange : la vraie raison pour laquelle l'Afrique ne se fait pas vacciner) et (2) A confusing COVID caseload - Why Africa’s missing numbers show a different side to the pandemic (​​Un nombre de cas COVID déroutant - Pourquoi les chiffres manquants de l'Afrique montrent une autre facette de la pandémie.)

8. Alors qu'une soumission au CEDAW sur les violations graves et systémiques est à venir, les Feminists for a People’s Vaccine ont déjà soumis un rapport alternatif au CEDAW dans le cadre du processus d'examen de l'organe de traité suédois, demandant une dérogation pour la propriété intellectuelle.
 

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Matt Grainger in UK | matt.grainger@oxfam.org |  +44 7730680837

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