Ces héroïnes du service public qui connaissent le vrai coût des inégalités

Sulemana est enseignante au Ghana. « Lorsque je suis arrivée dans cette communauté, j’ai constaté que les parents ne souhaitent pas scolariser leurs enfants, surtout les filles. Ils estiment que leur place est dans une cuisine ». Photo: Jacob Stærk

Sulemana est enseignante au Ghana. « Lorsque je suis arrivée dans cette communauté, j’ai constaté que les parents ne souhaitent pas scolariser leurs enfants, surtout les filles. Ils estiment que leur place est dans une cuisine ». Photo: Jacob Stærk

Les services publics universels comme l’éducation et la santé ont un pouvoir inégalé dans la lutte contre la pauvreté et la réduction des inégalités. Ils constituent le socle de sociétés libres et justes.

Dans trop de pays toutefois, l’éducation et la santé sont un luxe que seuls les plus riches peuvent se permettre. Dans le monde, 262 millions d’enfants ne vont pas à l’école. 10 000 personnes meurent chaque parce qu’elles n’ont pas accès à des soins de santé.

Les enseignantes et les professionnelles de santé comme Nellie et Dorra consacrent leur vie à des services publics de qualité qui bénéficient aux populations les plus pauvres. Et luttent chaque jour contre les inégalités.

“Beaucoup d’élèvent parcourent de longues distances pour venir étudier. Beaucoup arrivent l’estomac vide.”

Nellie Kumambala, enseignante dans le secondaire, Lumbadzi, Malawi

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« Mon père a été pour mes sœurs et pour moi la source d’inspiration qui nous a poussées à enseigner. J’enseigne dans le collège communautaire de ma région depuis 19 ans. Les élèves sont issu-e-s de familles très pauvres. Beaucoup parcourent de nombreux kilomètres pour venir étudier. De nombreux élèves arrivent l’estomac vide. Dans notre école, nous manquons de manuels scolaires, les salles de classe sont délabrées, tout comme les supports pédagogiques.

Au cours de toutes ces années, j’ai vu tant de filles et de garçons qui ont grandi dans la pauvreté exceller à l’école. Je me souviens notamment de Chimwemwe Gabisa, qui était brillante en mathématiques, la meilleure élève que j’ai jamais eue. Elle a terminé le secondaire, mais n'a pas pu aller à l'université car cela coûtait trop cher.

Nous pourrions améliorer grandement notre école avec plus d'argent. Nous pourrions proposer des petits-déjeuners et fournir des manuels scolaires à chaque élève. Nous pourrions répondre à leurs besoins fondamentaux, par exemple en leur fournissant des uniformes ou du matériel scolaire comme des cahiers d'exercice. Cela leur donnerait au moins une meilleure chance dans la vie. » (Photo: Watipaso Kaliwo)

“Sans ces soins, ce jeune garçon aurait perdu la vue.”

Lê thi Cam Thanh, vice-directrice de l'hôpital ophtalmologique de la province de Can Tho, Vietnam

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« J’ai reçu en consultation un garçon atteint d’un ulcère de la cornée. Il vivait avec ses grands-parents parce que ses parents étaient décédés. Il lui fallait des médicaments coûteux. On avait dit à sa grand-mère de 80 ans de présenter une ordonnance à la pharmacie.  Elle a éclaté en sanglots en expliquant "Je ne fais que vendre des légumes et des escargots et je n’ai pas assez d'argent".

Avec mes collègues de l'hôpital, nous nous sommes cotisés pour lever les fonds nécessaires. Sa grand-mère nous a apportés un panier de fruits et d'escargots en guise de remerciement pour tout le personnel. Sans ces soins, ce jeune garçon aurait perdu la vue. »

Lê thi Cam Thanh est médecin depuis 25 ans.  Elle se consacre à l’édification d’un système de soins de santé primaire performant. Il n'en reste pas moins qu’elle s'inquiète de l'avenir. Le salaire des médecins du secteur public est bas, leurs dettes d'études et la discrimination à l’encontre des femmes du corps médical sont autant d’obstacles à la réalisation de soins médicaux pour tous.  Elle sait pertinemment que c’est à l'État d'assumer le rôle de principal fournisseur de soins médicaux pour les pauvres. « C’est le seul acteur capable de produire des résultats. » (Photo: Tran Loc)

“Je fais tout pour renforcer l'amour-propre des élèves, leur faire se sentir en sécurité.”

Betty, enseignante en 4ème année, Palca, Bolivie

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Lorsque Betty est arrivée à l'école de Palca ,une communauté rurale située à 40 km de La Paz, beaucoup d'enfants étaient en difficulté scolaire. Il y avait des élèves qui ne savaient pas lire ou écrire, même au bout de quatre ans de scolarité. Certains enfants devaient travailler en plus d’étudier. D’autres devaient faire jusqu'à deux heures de marche pour se rendre à l'école, et il y en avait qui étaient sous-alimentés.

« Nous sommes en manque de tout. Nous n'avons pas le mobilier de classe ni les équipements nécessaires. De plus, beaucoup d'enfants dans les régions rurales éprouvent un sentiment d'infériorité, ils se sentent dévalorisés et ils n’atteignent pas les notes qu’ils devraient obtenir dans leur classe. Je fais tout pour renforcer l'amour-propre des élèves, leur faire se sentir en sécurité, leur donner l’impression qu’eux aussi ont une contribution à apporter, qu’ils peuvent participer et qu’ils n’ont pas à craindre de s’exprimer. »

Betty est confrontée à de nombreux obstacles pour aider ses élèves, mais elle a constaté des améliorations dans la manière dont l’État façonne l'éducation, en respectant la diversité des élèves et de leur style d’apprentissage. Le nouveau programme de bourse qui récompense les élèves pour chaque année où ils restent scolarisés (sous forme d'argent pour l'achat de fournitures scolaires et de l’uniforme) a contribué à réduire le taux de déscolarisation. (Photo: Alexandre Laprise)

“Mon rôle de médecin ne suffisait pas. Je suis devenue une sorte d'assistante sociale.”

Dorra Bousnina Lassoued, médecin, Tunis, Tunisia

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Dorra est médecin depuis 23 ans. Elle a choisi de travailler à la Cité Hellal, un quartier dangereux et défavorisé de Tunis, où elle a été affectée à un centre de santé maternelle et infantile. Elle avait pris l’engagement d'améliorer les soins dispensés, mais a souvent été découragée par le manque de budget, de médicaments, d'équipements et le désintérêt de la part du ministère.

« Mon rôle de médecin semblait ne pas suffire pour aider les habitants du quartier. Je suis devenue une sorte d'assistante sociale. J'ai dû mobiliser le secteur privé pour offrir gratuitement aux familles dans le besoin des couches, du lait et des fournitures scolaires.  En 2014, le ministre de la Santé est venu visiter notre centre. Je lui ai rappelé que le secteur de la santé publique s’était construit grâce aux efforts de plusieurs générations. Qu’il n’était pas question de l’abandonner, mais qu’au contraire il fallait le soutenir pour réaliser le droit constitutionnel à la santé.

Trois jours plus tard, j'ai été convoquée au ministère pour y présenter mon projet d’amélioration du centre. Il a fallu quatre années de consultations, de travaux et de combats contre des obstacles financiers et la corruption, mais aujourd'hui, le centre est un modèle de soins complets. Il est devenu un véritable lieu de refuge. » (Photo: Slim Boussoffara)

Nous pouvons changer la donne

Le fossé croissant des inégalités sape la lutte contre la pauvreté, et de nombreux gouvernements ne font que le creuser davantage. Ils échouent à faire en sorte que les plus riches paient leur juste part d'impôt alors que les services publics essentiels, tels que la santé et l’éducation, souffrent d’un manque criant de financement. Et ce sont les plus pauvres qui en font les frais.

Les inégalités ne sont pas une fatalité. Aucune loi ne stipule que les riches doivent devenir plus riches encore tandis que les plus pauvres meurent par manque de soins et de médicaments.

Il est temps de combattre les inégalités pour vaincre définitivement la pauvreté