La poursuite de l’austérité risque de créer jusqu’à 25 millions de « nouveaux pauvres » en Europe d’ici 2025

Publié: 11th septembre 2013

25 ans pourraient être nécessaires pour renouer avec les niveaux de vie d’avant-crise

Dans un nouveau rapport publié à la veille de la réunion des ministres des Finances à Vilnius, Oxfam avertit que, si rien n’est fait, les politiques d’austérité pourraient plonger de 15 à 25 millions d’Européens dans la pauvreté d’ici 2025, soit quasiment les populations des Pays-Bas et de l’Autriche réunies. Cela porterait le nombre de personnes menacées par la pauvreté en Europe à 146 millions, ce qui représente plus du quart de la population.

Dans ce rapport intitulé « Le piège de l’austérité », l’organisation internationale souligne que les mesures d’austérité mises en place dans le but d’équilibrer les budgets, suite au sauvetage des banques qui a coûté 4 500 milliards d’euros, ont surtout pour effet d’aggraver la pauvreté et les inégalités, et l’Europe risque d’en porter les séquelles pendant encore deux décennies.

Dans le même temps, l’austérité ne permet pas de réduire les taux d’endettement, comme elle était censée le faire, ni de stimuler une croissance inclusive.

Oxfam affirme que des alternatives aux politiques d’austérité existent et qu’il faut tirer les leçons de la période calamiteuse d’austérité et de réduction des dépenses sociales qu’ont vécue l’Amérique latine, l’Asie du Sud-Est et l’Afrique dans les années 1980 et 1990. Il a fallu vingt ans à certains pays de ces régions pour remonter la pente.

Un cercle vicieux

« La gestion de la crise économique en Europe menace de démanteler les droits sociaux acquis depuis des dizaines d’années, explique Natalia Alonso, directrice du bureau européen d’Oxfam. Les coupes radicales dans les budgets de la sécurité sociale, de la santé et de l’éducation, la réduction des droits des travailleurs et une fiscalité inéquitable enferment des millions d’Européens dans un cercle vicieux de la pauvreté qui pourrait durer des générations. C’est une absurdité morale et économique. »

Vingt-cinq ans pourraient être nécessaires aux Européens pour renouer avec les niveaux de vie dont ils jouissaient il y a cinq ans.

« Les seules personnes à bénéficier de l’austérité sont les 10 % les plus riches de la population européenne, qui ont vu leur fortune s’accroître. La Grèce, l’Irlande, l’Italie, le Portugal, l’Espagne et le Royaume-Uni – qui mènent une politique d’austérité des plus draconiennes – se classeront bientôt parmi les pays les plus inégalitaires au monde, si leurs gouvernements ne changent pas de cap. Par exemple, l’écart entre riches et pauvres au Royaume-Uni et en Espagne pourrait égaler celui du Soudan du Sud ou du Paraguay », ajoute Natalia Alonso.

Après trois ans de ce régime, les grands tenants de l’austérité comme le Fonds monétaire international et nombre d’éminents économistes commencent à reconnaître que non seulement ces mesures n’ont pas atteint l’objectif de réduire la dette publique et les déficits budgétaires, mais qu’elles ont en plus exacerbé les inégalités et entravé la croissance économique.

Le chômage atteint un niveau record dans de nombreux pays européens, les femmes et les jeunes étant les plus durement touchés. Au Royaume-Uni, plus d’un million d’emplois du secteur public seront supprimés à l’horizon 2018, et deux fois plus de femmes que d’hommes perdront leur emploi. Les salaires diminuent plus rapidement dans les pays soumis à des régimes d’austérité particulièrement stricts. En Europe, près d’un ménage d’actifs sur dix vit à présent dans la pauvreté et la situation risque d’aller de mal en pis. Par exemple, la législation hypothécaire espagnole, très dure, permet aux banques d’expulser 115 familles par jour ouvrable. Même les personnes ayant un emploi seront considérablement plus pauvres que leurs parents. La pauvreté infantile est appelée à augmenter partout en Europe.

Les leçons du passé

« L’histoire se répète. Nos responsables politiques ne tiennent aucun compte des souffrances infligées par les mesures d’austérité aux populations d’Amérique latine, d’Asie du Sud-Est et d’Afrique dans les années 1980 et 1990. Les économies y étaient en ruine et les personnes démunies s’enfonçaient davantage encore dans la pauvreté, même après le retour de la croissance », rappelle Natalia Alonso. Des services essentiels tels que l’éducation et la santé ont fait l’objet de compressions ou de privatisations, au prix de l’exclusion des plus démunis et surtout au détriment des femmes. Résultat : l’écart entre riches et pauvres s’est creusé.

En Indonésie, il a fallu dix ans pour que la pauvreté redescende à son niveau de 1997, tandis que dans certains pays d’Amérique latine, 25 ans ont été nécessaires pour ramener la pauvreté à son niveau d’avant le déclenchement de la crise, en 1981. « L’Europe prend la même direction », s’inquiète Natalia Alonso.

D’autres solutions existent

« Il existe des alternatives à l’austérité. À la veille de la réunion des ministres européens des Finances, nous invitons les États membres de l’UE à défendre un nouveau modèle économique et social qui investit dans l’humain, renforce la démocratie et mène une fiscalité équitable. En taxant la frange la plus riche de la population et en mettant un frein à l’évasion fiscale, les gouvernements pourraient lever des milliards d’euros permettant de financer les services publics tels que la santé et l’éducation.

« Un nouveau modèle de prospérité est possible. Investir dans les écoles, les hôpitaux, le logement, la recherche et les technologies permettrait à des millions d’Européens de retrouver un emploi et de contribuer à une économie durable », ajoute Natalia Alonso.

Infographie sur l'austérité en Europe et ses conséquences sur la pauvreté

La gestion de la crise économique en Europe menace de démanteler les droits sociaux acquis depuis des dizaines d’années.
Natalia Alonso
Directrice du bureau européen d’Oxfam

Notes aux rédactions

  • Des analyses détaillées sont disponibles sur les pays suivants (en anglais) : Allemagne, BelgiqueFrance, Grèce, Irlande, Islande, Italie, NorvègePays-Bas, Portugal, Royaume-Uni
  • L’analyse d’Oxfam se fonde sur la définition officielle de la pauvreté selon l’Union européenne. En 2011, 121 millions de personnes étaient confrontées au risque de pauvreté dans l’UE, soit 24,3 % de la population. Selon l’Institut d’études fiscales (IFS), si le Royaume-Uni continue sur la voie de l’austérité, les taux de pauvreté des différentes catégories sociales devraient augmenter de 2,5 à 5 points dans le pays entre 2010 et 2020. À l’échelle de l’UE, une hausse de 3 % au cours des douze prochaines années porterait le nombre de personnes menacées par la pauvreté à près de 15 millions (14 963 000) en 2025. Une hausse de 5 points des taux de pauvreté européens entraînerait une augmentation de 24,939 millions de personnes.
  • En Bolivie, l’écart de revenu net (après impôt et transferts sociaux) a augmenté de 16 points au cours des six années qui ont suivi la mise en place de son programme d’ajustement structurel, dans les années 1990. Plusieurs pays ont déjà enregistré une montée des inégalités depuis la mise en œuvre de politiques d’austérité. Si la Grèce, l’Irlande, l’Italie, le Portugal, l’Espagne et le Royaume-Uni devaient connaître la même évolution que la Bolivie, leur écart de revenu net atteindrait entre 0,47 et 0,51 point, ce qui les classerait parmi les pays les plus inégalitaires au monde. Selon les dernières estimations, le coefficient de Gini – un indicateur d’inégalité – est de 0,45 au Soudan du Sud (2009) et de 0,52 au Paraguay (2010).
  • Depuis l’éclatement de la crise financière il y a cinq ans, deux effets sont observés dans nombre des pays profondément touchés par les mesures d’austérité, notamment la Grèce, l’Italie, l’Espagne, le Portugal et le Royaume-Uni : soit la part du dixième le plus riche de la population dans le revenu national total a augmenté, soit celle du dixième le plus pauvre a diminué. Dans certains cas, ces deux effets sont conjugués. En d’autres termes, les plus riches s’en mettent plus dans la poche, et les pauvres moins.
  • Selon les rapports, au Royaume-Uni et au Portugal, les salaires réels ont baissé de 3,2 % entre 2010 et 2012. La valeur réelle des salaires britanniques équivaut désormais à celle de 2003, ce qui revient à la perte d’une décennie pour le travailleur moyen (source). L’Italie, l’Espagne et l’Irlande ont toutes trois enregistré une baisse des salaires réels au cours de cette même période. En Grèce, la baisse a dépassé les 10 %.

Contact

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Angela Corbalan, + 32 (0) 473 56 22 60 ou angela.corbalan@oxfaminternational.org

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