5 raisons pour lesquelles la crise du coronavirus nécessite une réponse féministe

Addise, 26, Beekeeping Cooperative Secretary, Bahirdar, Ethiopia

Addise, 26 ans, secrétaire de la coopérative apicole, à Bahirdar, en Éthiopie. Alors qu'elle rêvait de devenir médecin, elle a été contrainte à un mariage précoce et a dû quitter l’école à 15 ans. Il y a quelques années, elle a participé à un projet d’apiculture d’Oxfam dans son village, qui a fourni des équipements et une formation aux femmes pour qu’elles puissent produire et vendre du miel. Photo : Kieran Doherty/Oxfam

La pandémie de coronavirus préoccupe le monde entier – et elle nécessite une action prudente. Or, une gestion de crise efficace ne se limite pas à la recherche scientifique. Il convient également d’apporter des réponses politiques et sociales. Contrairement aux médicaments et aux vaccins, ces réponses n’ont pas besoin d’être découvertes.

Le féminisme propose déjà une façon de penser et des idées qui peuvent combler le fossé existant en matière d’inégalités, d’autant plus manifestes en temps de crise.

Pourquoi la crise du coronavirus nécessite-t-elle une réponse féministe ? Voici 5 raisons.

1. La vie de chaque être humain est précieuse

Chaque vie humaine a la même valeur et les mêmes droits, quels que soient le genre, l’origine ethnique, l’identité sexuelle, la religion ou les croyances, le handicap, l’âge, le statut ou la position sociale. Ce sont les fondements du féminisme intersectionnel. La crise du coronavirus le montre clairement : cette position est sans doute plus importante que jamais. Nos actions personnelles doivent s’y conformer.

La compréhension mutuelle est nécessaire pour vivre ensemble dans un monde de plus en plus interdépendant, malgré et précisément à cause des mesures actuelles de distanciation physique. Les mesures que les gouvernements prennent aujourd’hui façonneront notre avenir à moyen et long terme.

Quiconque considère les inégalités et les discriminations intersectionnelles existantes qu’elles soient fondées sur le genre, la race, la classe, l’âge, l’appartenance ethnique, l’orientation sexuelle ou l’état de santé, ou toute autre forme de discrimination comme des questions secondaires qui ne sont pas urgentes en temps de crise, passe à côté de l’essentiel.

Ruth, mother of 7 in the Philippines

Aux Philippines, s’occuper des enfants et des personnes âgées ainsi que des tâches ménagères est bien souvent considéré comme une tâche réservée aux femmes. Ruth est mère de 7 enfants. Elle est la première à se lever, elle fait manger ses enfants et les prépare pour l’école. Elle est aussi la dernière à se coucher après avoir nettoyé la maison et lavé les vêtements de toute la famille. Photo : Jed Regala/Oxfam

2. La crise frappe certaines personnes plus durement que d’autres

La pandémie touche toutes les sphères de notre vie, mais elle frappe chacun-e de nous différemment. Les personnes qui sont logées de façon précaire, vivent dans la pauvreté, se font exploiter au travail ou sont affectées par les inégalités et la violence inhérentes au sexisme et au racisme, ainsi que les personnes atteintes de maladies chroniques, sont particulièrement touchées. Les femmes âgées et les mères célibataires, qui sont surreprésentées parmi les pauvres et les personnes qui risquent de le devenir, sont particulièrement menacées.

Dans le monde entier, les femmes gagnent 23 % de moins que les hommes, qui détiennent quant à eux 50 % de plus de biens. Cette inégalité est exacerbée par la crise. Travailler à domicile, faire des provisions ou se laver les mains régulièrement ? Pour beaucoup de personnes, c’est tout simplement impossible. Déjà souvent moins bien payées que les hommes pour le même travail, les femmes gagnent trop peu, vivent dans la précarité et dans bien des cas n’ont pas accès à l’eau potable.

Et pourtant, les métiers essentiels sont principalement exercés par des femmes dans le monde entier. Plus de 70 % des personnes qui travaillent dans le domaine de la santé sont des femmes. En outre, les femmes effectuent plus de 70 % du travail non rémunéré, soit trois fois plus que les hommes. La fermeture des écoles et l’augmentation du nombre de malades atteints du Covid-19, qui entraînent une charge de travail croissante pour celles qui s’occupent des soins de leur famille, ne font que renforcer cette injustice flagrante.

Cela doit changer sans délai. Au lieu de continuer à dévaloriser systématiquement ce travail de soins non rémunéré et sous-payé, il faut lui donner le statut qu’il mérite et reconnaître son rôle dans la cohésion sociale à l’échelle mondiale.

Hong Rany (26) checks a net for fish near her home on Chrem Island out in the middle of the Mekong River.

Rany Hong, 26 ans, vérifie si elle a attrapé des poissons dans son filet près de chez elle, à Chreum, une île du Mékong au Cambodge. Elle a été élue à la tête d’un comité communautaire de pêche qui protège et gère les ressources naturelles, en particulier les ressources halieutiques dont les familles dépendent pour leur subsistance. Photo : Savann Oeurm/Oxfam

3. La rémunération décente n’est pas une question marginale

Les licenciements et la réduction du temps de travail sont devenus une menace particulière dans le contexte de la pandémie. On le constate par exemple dans l’industrie textile au Bangladesh. L’annulation de commandes fait peser un gros risque sur les emplois et les moyens de subsistance des ouvriers du textile, ceux des femmes en particulier.

Les femmes qui travaillent dans les exploitations viticoles d’Afrique du Sud sont également touchées de manière disproportionnée. Si les importations de vin diminuent en raison du virus, la main d’œuvre saisonnière sera la première à perdre son emploi, tandis que celles et ceux ayant un contrat à durée indéterminée (principalement des hommes) le conserveront, comme le souligne Colette Solomon, directrice du projet Women on Farms Project. Ces discriminations n’ont pas leur place dans un monde juste.

Il est impératif de témoigner notre reconnaissance aux personnes qui occupent des métiers essentiels ainsi qu’au personnel soignant. Toutefois, ces personnes ont surtout besoin de recevoir un salaire adéquat et de bénéficier de conditions de travail sûres pour effectuer ces tâches vitales, tant pendant la crise qu’à plus long terme. Toute autre vision relèverait du cynisme.

Rizini Furaha carries a water jerrican at dusk in Malinde, DRC.

Rizini Furaha portant un jerrican d’eau au crépuscule, dans le village de Malinde, dans la région du Sud-Kivu, en RDC. Rizini va chercher de l’eau à la rivière trois fois par jour avec son fils de quatre ans. Elle porte ensuite le jerrican rempli de 20 litres d’eau sur son dos, en le maintenant avec une sangle passée autour de la tête. Photo : Alexis Huguet/Oxfam

4. La santé et les soins de santé ne sont pas des marchandises négociables

Le risque d’infection et de maladie grave ou mortelle est particulièrement élevé pour les personnes qui vivent dans des États fragiles ou des espaces confinés en raison du manque de soins. Ce risque est particulièrement élevé dans le camp de réfugié-es de Moria, où plus de 150 personnes se partagent parfois une seule toilette et où il n’y a souvent pas de savon.

D’autres régions du monde manquent aussi cruellement d’eau propre et potable. L’équation est aussi simple que désolante : pas d’eau potable, pas de santé. Dans les régions où il n’y a pas d’eau courante, les femmes et les filles doivent marcher plusieurs kilomètres jusqu’au puits le plus proche et elles sont donc davantage exposées au virus en allant chercher de l’eau.

L’accès équitable aux médicaments, aux mesures de protection et de prévention ainsi qu’aux traitements médicaux doit être garanti à toutes et à tous, et non seulement à un cercle restreint de personnes riches.

Students in Malawi learn what sexual gender-based violence is and how they can report and protect themselves from it.

Des élèves du Malawi assistent à l’école à une séance d’information sur les violences fondées sur le genre, apprenant comment s’en protéger et comment les signaler. L’abandon scolaire est fréquent chez les filles, souvent en raison de grossesse chez les adolescentes, du travail des enfants et d’un manque de volonté. Photo : Ko Chung Ming/Oxfam

5. Nous ne devons pas perdre de vue les droits humains, la justice de genre et la protection de l’environnement

Même en cette période de pandémie, les dirigeant-e-s politiques ne doivent pas perdre de vue leurs autres responsabilités en matière de droits humains et de protection de l’environnement. Nous avons la responsabilité collective de les respecter, dans les bons comme dans les mauvais moments. Cela vaut également pour l’accès aux services sociaux de base, comme l’éducation, qui doivent être garantis. Alors que nous n’en sommes qu’aux premières semaines de la pandémie, 1,5 milliard d’élèves et d’étudiant-e-s sont déjà touché-e-s par les fermetures des écoles et universités dans le monde entier, et des centaines de millions ne retourneront jamais en classe.

Les solutions proposées pour lutter contre le coronavirus doivent également tenir compte des Objectifs de développement durables. La crise climatique est passée au second plan en raison de la pandémie. Des acteurs et actrices du monde politique et de différentes industries cherchent déjà à modifier les mesures de protection de l’environnement existantes dans leur propre intérêt. Ce serait clairement un pas dans la mauvaise direction. La crise exige des solutions durables.

En outre, nous devons renforcer les systèmes sociaux et de santé mondiaux, en veillant à ce qu’ils respectent la justice de genre et qu’ils abordent les risques spécifiques auxquels sont exposées les femmes, en particulier les femmes noires et de couleur qui sont confrontées à la fois au racisme et au sexisme.

Les discriminations intersectionnelles fondées sur le genre, la race et la classe ainsi que toutes les autres formes de discrimination sont un problème fondamental auquel il faut s’attaquer dès maintenant.

Les gouvernements ne doivent pas les oublier dans leurs décisions politiques et leurs actions pour contenir le virus. S’ils n’en tiennent pas compte, nous devons nous mobiliser afin de le leur rappeler, partout et chaque fois que c’est nécessaire.