La ruée actuelle sur les terres agricoles accroît la pauvreté

Publié: 21st septembre 2011

Oxfam appelle une société britannique à enquêter sur l’expulsion forcée de plus de 20 000 Ougandais-es pour faire place à ses plantations

Oxfam lance aujourd’hui un nouveau rapport attirant l’attention sur l’accélération des transactions foncières dans le monde, souvent au détriment de communautés pauvres qui perdent alors toit et moyens de subsistance, parfois dans la violence. Et ce, sans consultation préalable, dédommagement ni voie de recours.

Dans son rapport intitulé Terres et pouvoirs, Oxfam révèle les premiers résultats d’une étude : depuis 2001, 227 millions d’hectares ont été vendus, loués ou concédés dans le cadre de transactions foncières à grande échelle et, dans la majorité des cas, par des investisseurs internationaux. Malgré le manque de transparence et le secret entourant ces transactions foncières - rendant difficile l’obtention de chiffres précis -, des recoupements ont, à ce jour, permis d’établir que 1 100 transactions portent sur un total de 67 millions d’hectares, dont la moitié en Afrique, pour une superficie quasi équivalente à celle de l’Allemagne (1).

Oxfam avertit que cette ruée vers les terres agricoles est causée par une volonté d’accroître les exportations de denrées alimentaires, d’atteindre des objectifs néfastes en matière d’agrocarburants ou de spéculer sur le foncier dans une chasse au profit facile. Toutefois, nombre de ces transactions relèvent en fait d’un accaparement de terres : elles ne tiennent aucun compte des droits et besoins des habitants concernés, les privant ainsi de leur logement et d’une terre où cultiver de quoi se nourrir et gagner leur vie.

Cette situation risque fort de se détériorer sous la pression de la demande croissante de denrées alimentaires, de l’accélération du changement climatique, de la raréfaction des ressources en eau et de cultures non alimentaires - tels les agrocarburants - qui se bousculent pour occuper les sols. Près de trois milliards de personnes vivent déjà dans des régions où la demande en eau dépasse l’offre.

Des conséquences catastrophiques sur les communautés vulnérables

« Le rythme sans précédent des transactions foncières et l’intensification de la concurrence pour les terres agricoles aggravent le sort de nombreux démunis dans le monde. Les investisseurs s’arrachent les terres sans tenir compte des personnes qui les occupent et dont la survie en dépend », explique Jeremy Hobbs, directeur exécutif de la confédération internationale Oxfam.

Le rapport décrit l’effet catastrophique d’accaparements de terres sur des communautés vulnérables en Ouganda, au Sud-Soudan, en Indonésie, au Honduras et au Guatemala. Il s’inscrit dans le cadre de la campagne CULTIVONS d’Oxfam, qui vise à assurer un avenir où tout le monde mangera à sa faim. Les femmes, qui produisent jusqu’à 80 % des denrées alimentaires dans certains pays pauvres, sont en général les plus vulnérables compte tenu de la faiblesse de leurs droits fonciers.

En Ouganda, l’étude d’Oxfam indique qu’au moins 22 500 personnes ont perdu leur toit et leur terre pour faire place à une compagnie forestière britannique, la New Forests Company. Nombre d’expulsés ont confié à Oxfam avoir été délogés de force et s’être retrouvés sans assez de nourriture ni d’argent pour envoyer leurs enfants à l’école. Malgré des ordonnances citant la société en justice, des salariés de celle-ci auraient, selon des témoins occulaires, participé à certaines expulsions. La NFC dément toute implication dans ces expulsions (2).

Ni consultation, ni compensation

« Toutes nos plantations ont été rasées et nous avons perdu les bananes et le manioc », témoigne Christine, une productrice d’une quarantaine d’années, qui habitait le district de Kiboga, en Ouganda, avant d’être expulsée de ses terres. « Nous avons perdu tout ce que nous possédions. Des travailleurs occasionnels de la société nous ont agressés en nous frappant et en nous menaçant. Aujourd’hui encore, ils refusent de nous laisser passer pour récupérer les affaires que nous avons laissées. Ils ont menacé de me battre si je ne partais pas. »

Pour Jeremy Hobbs, « l’affaire ougandaise démontre clairement que les accaparements de terres outrepassent les mesures en place visant à assurer la protection des populations vulnérables. Les expulsions, sans consultation ni indemnisation, font souffrir des milliers de personnes.

« La New Forests Company se présente comme une société éthique et respectueuse des normes internationales. Elle doit enquêter de toute urgence sur ces plaintes. Il est inacceptable que des entreprises rejettent la faute sur les gouvernements. Elles doivent respecter les besoins et les droits des communautés qui subissent les conséquences de leurs investissements. »

Priorité aux droits existants en matière d’utilisation des sols

Oxfam invite les investisseurs, les gouvernements et les organisations internationales à inscrire l’arrêt des accaparements de terres au rang de leurs priorités. Il s’agit d’amender les politiques et réglementations actuelles qui, trop souvent, ne garantissent pas la consultation et le traitement équitable des populations locales, ni le respect des normes internationales applicables dans le cadre des négociations foncières des investisseurs. Citons notamment les critères de performance de la Société financière internationale, du Groupe de la Banque mondiale, et les normes FSC (Forest Stewardship Council).

Les gouvernements doivent éviter de se plier aux volontés des investisseurs et accorder la priorité aux droits existants en matière d’utilisation des sols, sans se limiter à la détention de titres fonciers légaux ou de droits de propriété officiels. Les gouvernements doivent reconnaître l’égalité des droits fonciers des femmes et veiller à ce que tous les investissements agricoles bénéficient aux communautés locales dont la survie dépend de la terre. Tandis que les gouvernements et les entreprises mettent de l’ordre dans leurs affaires pour en finir avec les accaparements de terres à l’avenir, il est urgent de réparer les préjudices actuellement causés par ce phénomène, notamment par l’affaire des investissements internationaux en Ouganda.

Les effets pervers des incitations aux agrocarburants

Afin de freiner la ruée sur les terres agricoles en réponse à la demande d’agrocarburants, il convient d’abandonner des incitations aux effets pervers, telles que les objectifs de production et de consommation des agrocarburants, notamment l’objectif de l’Union européenne de parvenir à 10 % d’énergies renouvelables dans le secteur du transport d’ici à 2020.

En attendant, le Comité de la sécurité alimentaire (CSA) mondiale de l’ONU pourrait franchir un premier pas important à l’occasion de sa réunion prévue le mois prochain à Rome, en adoptant des lignes directrices crédibles sur les régimes fonciers en faveur des plus pauvres et des femmes.

« Les investissements fonciers devraient réjouir les personnes confrontées à la pauvreté. Pourtant, cette main basse sur les terres risque d'empêcher tout développement. Une action mondiale s’impose de toute urgence afin d’éviter que les populations locales aux ressources relativement modestes ne perdent tout au profit d’une poignée d’autres et afin de garantir un avenir où chacun puisse manger à sa faim », estime Jeremy Hobbs.

En savoir plus

» Télécharger le rapport Terres et pouvoirs

» Regarder la vidéo Glen, Gary et Ross - un film sur l'accaparement des terres

» Participer à la campagne CULTIVONS - que puis-je faire ?

Ils ont menacé de me battre si je ne partais pas.
Christine
Agricultrice, district de Kiboga, Ouganda

Notes aux rédactions

  1. Les données sont compilées par le Land Matrix Partnership, une coalition d’universités, instituts de recherche et ONG. Le chiffre de 227 millions se fonde sur des informations relatives aux transactions foncières de plus de 200 hectares provenant de sources très diverses, notamment des rapports officiels, des recherches universitaires, des sites Web d’entreprises, les médias et les rares contrats accessibles. La coalition s’attache actuellement à vérifier les données concernant les transactions foncières qu’elle a identifiées. Elle incite les entreprises et les gouvernements à faire preuve de davantage de transparence pour que l’on puisse prendre la véritable mesure du problème. Le Land Matrix Partnership est constitué de l’International Land Coalition, des universités de Berne et de Hambourg, du CIRAD, de l’agence allemande de coopération technique, de GIZ et d’Oxfam.
  2. Les expulsions ont eu lieu entre 2006 et 2010. Le 24 août 2009, une Haute Cour de justice a rendu une ordonnance expirée le 18 mars 2010. L’autre ordonnance, en date du 19 juin 2009, demeurait en vigueur jusqu’au 2 octobre 2009. Toutes deux enjoignaient à la société de ne procéder à aucune expulsion. La New Forests Company a déclaré que la majorité des habitants n’avaient aucun droit légal sur les terrains, qu’ils avaient quitté les lieux dans le calme et que la procédure relevait de la seule compétence de l’administration nationale des forêts de l’Ouganda. Elle a fait valoir à Oxfam qu’elle a créé de l’emploi et aménagé des équipements pour les communautés locales et que ses activités avaient reçu l’agrément du Forestry Stewardship Council et de la Société financière internationale.

Quelques chiffres clés

  • L’économie mondiale, qui devrait tripler de volume d’ici à 2050, exigera des ressources naturelles et agricoles toujours plus rares.
  • Devenue l’huile comestible la plus consommée dans le monde, l’huile de palme se retrouve dans près de la moitié des aliments emballés et des produits d’hygiène corporelle. Sa production devrait doubler d’ici à 2050, entraînant une augmentation de la superficie mondiale cultivée de 24 millions d’hectares – soit six fois la surface des Pays-Bas.
  • Au Guatemala, 8 % des agriculteurs représentent 78 % des terres en production. À peine 8 % des petits exploitants contrôlant le reste des terres sont des femmes.

La campagne CULTIVONS d’Oxfam appelle à une action mondiale afin de réformer le système alimentaire actuellement défaillant qui laisse 925 millions de personnes souffrir quotidiennement de la faim. Face à la raréfaction des ressources naturelles telles que la terre arable, à l’accélération du changement climatique et à la volatilité accrue des prix alimentaires, la situation risque de s’aggraver. Ensemble, nous pouvons l’éviter. Découvrez comment en surfant sur www.oxfam.org/cultivons.

Contact

Tricia O'Rourke, tricia.orourke@oxfaminternational.org, +44 1865 339157 ou +44 7876 397915