Fonds pour le développement investis dans la santé par les pays riches profite au secteur privé et ruine ou laisse pour compte les personnes vulnérables

Publié: 26th juin 2023

Investissements de l’argent des contribuables dans des transactions douteuses, recherche à tout prix du profit et exploitation, scandales, ou encore violations des droits humains, les méfaits sont nombreux. Pourtant, les responsables n’ont pas eu à rendre de comptes. Certains hôpitaux privés vont même jusqu’à emprisonner des patients et à confisquer aux familles le corps de leur proches décédé·es jusqu’au paiement des factures.

Dans les pays du Sud, les patients en situation de pauvreté sont souvent ruinés par les entreprises de santé privées soutenues par des investissements de plusieurs millions de dollars provenant d’institutions de financement du développement (IFD) gérées par les gouvernements du Royaume-Uni, de la France, de l’Allemagne et d’autres pays riches.

Les IFD comme la Société financière internationale (SFI) de la Banque mondiale et la Banque européenne d’investissement (BEI) investissent des fonds publics via le secteur privé dans le but de soutenir le développement économique des pays du Sud et de lutter contre la pauvreté. 

Or, Oxfam a publié aujourd’hui deux enquêtes sur les investissements faits par ces IFD dans des chaînes d’hôpitaux privés et d’autres entreprises de santé à but lucratif implantées dans les pays à revenu faible et intermédiaire. Ces études révèlent les pratiques suivantes :    

  • Extorsion de fonds et emprisonnement des patients (y compris des nouveau-nés), voire confiscation des corps de personnes décédées en cas de non-paiement des factures.
  • Recherche à tout prix du profit, notamment durant la pandémie, surfacturation systématique des patients entraînant leur ruine ou leur basculement dans la pauvreté.
  • Refus de soins aux personnes qui ne peuvent se les permettre, même en cas d’urgence, et tarification des services et des médicaments à des prix largement hors de portée de la plupart des membres des communautés locales. 
  • Implication dans des combines fiscales, des manipulations de prix et des négligences médicales entraînant des décès.
  • Non-prévention des violations des droits humains, y compris le trafic d’organes par le personnel et pratiques relevant de l’exploitation, comme l’exercice de pression sur les patients pour les inciter à accepter des procédures médicales coûteuses et non nécessaires.


« Depuis des décennies, les pays riches sont rattachés à une théorie selon laquelle les fonds publics peuvent être investis dans le secteur privé pour aider les pays à revenu faible et intermédiaire à développer leur secteur de la santé », déclare Anna Marriott, responsable des politiques de santé à Oxfam International. « Cette théorie s’est avérée infondée. Elle traduit principalement la conception économique des banquiers des pays riches qui envisagent les services de santé comme une foire d’empoigne où les acteurs privés se ruent sur les biens d’intérêt public, pour le plus grand bonheur des investisseurs ultrariches et des actionnaires des entreprises de santé privées, et au détriment des populations confrontées à l’augmentation de la pauvreté, aux maladies, aux discriminations et aux violations des droits humains ». 

Oxfam s’est penchée sur les investissements faits par des IFD européennes dans le secteur de la santé privée en plein essor en Inde, au Kenya, au Nigeria, en Ouganda et dans d’autres pays du Sud. Ses conclusions sont les suivantes :

  • 358 investissements en santé ont été réalisés entre 2010 et 2022, dont plus de la moitié (56 %) en faveur d’entreprises de santé privées implantées dans des pays à revenu faible et intermédiaire.
  • Au moins 2,4 milliards de dollars ont été investis dans des entreprises de santé et peuvent faire l’objet d’un suivi, mais Oxfam a identifié au moins 269 autres investissements dont le montant n’a pas été rendu public.
  • On perd la trace de la plupart de ces investissements (81 %), qui sont réinvestis via un réseau d’intermédiaires financiers. 80 % de ces intermédiaires financiers ont leur siège social dans des paradis fiscaux comme Maurice, Jersey et les îles Caïmans. 
  • Ces investissements ne sont soumis à aucune ou à très peu d’obligations de redevabilité. Aucune donnée ne permet de savoir s’ils ont amélioré l’accès aux soins de santé pour les personnes en situation de pauvreté, en particulier pour les femmes et les filles. 
  • Disparités extrêmes : des traitements dignes d’un hôtel 5 étoiles et à des prix exorbitants pour la classe politique, les vedettes sportives et les célébrités, allant jusqu’à l’extorsion, à l’exploitation ou à l’exclusion en fonction de la capacité de paiement des patients. 


« La moitié de la population mondiale n’a pas accès à des soins de santé de base. Chaque seconde, soixante personnes basculent dans la pauvreté à cause de frais médicaux. Les pays bailleurs de fonds et les banques de développement ont depuis longtemps promis qu’ils peuvent réduire les coûts des soins de santé pour les personnes vivant dans la pauvreté en investissant l’argent des contribuables dans le secteur privé. Au lieu de ça, la flambée des prix fait des ravages », dénonce Anna Marriott. 

En Inde, où le secteur de la santé privée pèse maintenant 236 milliards de dollars et continue de croître à un rythme soutenu, la SFI a investi directement plus de 500 millions de dollars dans certaines des plus grandes chaînes hospitalières privées du pays. D’autres investissements ont été effectués indirectement par l’intermédiaire de fonds de placement privés détenus par les milliardaires les plus riches de l’Inde. Oxfam a abouti aux conclusions suivantes :

  • La SFI n’a publié aucune évaluation sur les impacts de ses investissements dans le domaine de la santé en Inde depuis le lancement des premiers projets il y a 25 ans.
  • De nombreuses plaintes ont été retenues par les autorités de régulation indiennes, notamment concernant des cas de surfacturation, de refus de soins, de manipulation des prix, d’évasion fiscale et de refus de soigner gratuitement des patients en situation de pauvreté, alors même que ces hôpitaux sont dans l’obligation de le faire pour recevoir gratuitement des terres du gouvernement. 
  • Sur les 144 hôpitaux qui ont bénéficié de ces financements, seul un est situé dans une zone rurale, et seulement 20 sont situés dans les dix États les moins bien classés de l’indice de santé annuel de l’Inde. 
  • Les investissements de la SFI dans les hôpitaux portent plus sur la croissance des entreprises et la « création de valeur pour les investisseurs » que les droits des patients ou l’amélioration de l’accès aux soins pour les personnes qui en ont le plus besoin. 


Les rapports d’Oxfam font état de marges bénéficiaires allant jusqu’à 1 737 % sur les médicaments, les consommables et les diagnostics dans quatre grands complexes hospitaliers de la région de Delhi/capitale nationale. 

L’hôpital privé de Maputo au Mozambique, soutenu par la SFI pendant la pandémie, aurait demandé aux patients ayant contracté la COVID-19 de payer plus de 6 000 dollars en cas de besoin d’oxygène et 10 000 dollars pour disposer d’un respirateur. De même, en Ouganda, l’hôpital Nakasero aurait facturé 1 900 dollars par jour pour un lit de soins intensifs COVID-19, alors que l’hôpital TMR a facturé 116 000 dollars pour une personne décédée du virus. L’hôpital Nakasero est financé par la France, l’Union européenne et la SFI, et l’hôpital TMR est soutenu par le Royaume-Uni et la France.

L’hôpital Sírio-Libanês du Brésil, qui a reçu des fonds d’IFD comme la DEG allemande et Proparco (France), traite principalement les élites fortunées, notamment des président·es et des célébrités latino-américaines. Il est doté de 500 caméras de sécurité, 250 contrôleurs d’accès électroniques, 250 détecteurs de proximité, 100 agents de sécurité et des médecins formés pour gérer les paparazzis. 

Alors que le taux de mortalité maternelle augmente dans le monde entier, Oxfam a découvert que les hôpitaux privés financés par les IFD sont hors de prix pour les personnes qui ont le plus besoin de soins de santé. Le coût moyen d’un accouchement sans complications dans ces hôpitaux privés est supérieur au revenu annuel d’une personne moyenne appartenant aux 40 % les plus pauvres de la population, tandis que le coût d’un accouchement par césarienne équivaut à plus de deux années de revenu. 

Au Nigeria, neuf femmes sur dix parmi les plus pauvres accouchent sans l’aide d’une sage-femme ou d’une aide qualifiée. Oxfam a fait un suivi des fonds de développement fournis par la BEI, l’Allemagne, la France et la SFI aux Lagoon Hospitals, des hôpitaux privés luxueux de Lagos où le forfait maternité le plus basique coûte plus de neuf ans de revenus pour les 10 % les plus pauvres de la population nigériane. 

Lorsque dépensées judicieusement, l’aide au développement et d’autres formes de dépenses gouvernementales sont essentielles pour sauver des vies et favoriser le développement. L’Éthiopie a utilisé l’aide au développement avec succès pour atteindre la plupart des objectifs du Millénaire pour le développement liés à la santé avant 2015. Elle a notamment réduit la mortalité maternelle de plus de 70 %. Dans les pays à faible revenu qui déploient le plus d’efforts pour prévenir la lutte contre la mortalité maternelle à l’accouchement, 90 % des soins de santé sont pourvus par le secteur public. La pandémie de COVID-19 a montré que la sécurité sanitaire exigeait la possibilité d’offrir des soins de santé pour tous et toutes, partout et le plus tôt possible.

« Il est plus urgent que jamais que les gouvernements mettent fin à ce dangereux détournement des fonds publics vers la santé privée et tiennent leurs promesses en matière d’aide au développement et d’autres financements publics afin de renforcer les systèmes de santé publics pour qu’ils puissent répondre aux besoins de toutes et tous. Les gouvernements des pays du Sud doivent aussi insister plus fermement sur l’orientation des investissements publics étrangers vers l’amélioration des résultats en matière de santé de leur population », estime Anna Marriott.

Oxfam appelle à l’arrêt de tout financement direct ou indirect de la santé privée par les IFD et demande d’urgence une enquête indépendante sur tous les investissements actuels et passés.
 

Notes aux rédactions

Téléchargez les rapports d’Oxam intitulés : « Tendances malsaines » et « First, Do No Harm » (en anglais).

Les institutions de financement du développement analysées dans les rapports sont le British International Investment (BII, anciennement CDC) du gouvernement britannique, la Deutsche Investitions- und Entwicklungsgesellschaft (DEG) d’Allemagne, Proparco pour la France, la Banque européenne d’investissement (BEI) et la Société financière internationale (SFI), branche du secteur privé du Groupe de la Banque mondiale.

La SFI et les IFD européennes investissent dans 42 des mêmes intermédiaires financiers et 112 des mêmes entreprises de santé privées. 

D’après l’Organisation mondiale de la Santé et la Banque mondiale, le nombre de personnes confrontées à des dépenses de santé catastrophiques ou entraînant leur appauvrissement se situait entre 1,366 milliard et 1,888 milliard de personnes en 2017. Si on divise 1,888 milliard par 31 536 000 secondes (soit le nombre de secondes contenu dans une année), cela représente 59,8 personnes par seconde.

D’après E. Suzuki, C. Kouame et S. Mills (2023), le nombre de mères qui meurent pendant la grossesse et l’accouchement a soit stagné soit augmenté depuis que les objectifs de développement durable ont été adoptés.

L’Éthiopie a utilisé l’aide au développement avec succès pour faire chuter la mortalité maternelle de plus de 70 %.

Dans les pays à revenu faible et à revenu intermédiaire de la tranche inférieure où la lutte contre la mortalité maternelle à l’accouchement est une priorité, 90 % des soins de santé sont pourvus par le secteur public, et 8 % par le secteur privé. Téléchargez le rapport d’Oxfam intitulé « Services publics ou fortunes privées ? » pour en savoir plus.
 

Contact

Annie Thériault au Pérou | annie.theriault@oxfam.org | +51 936 307 990
Matt Grainger au Royaume-Uni | matt.grainger@oxfam.org | +44 - 07730680837
Simon Trépanier au Kenya | simon.trepanier@oxfam.org | +39 3888 50 99 70

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